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CHARLES GUÉRIN.

toutes les difficultés ; en donnant sa fille à Charles, mon ambitieux voisin s’assurerait cette terre qu’il convoite… Au lieu de redouter sa cupidité, nous serons certains de sa protection. Il se mêlait à ce projet beaucoup de la sympathie que j’éprouvais pour Clorinde. Dans les commencemens, je n’aimais pas que ta sœur la fréquentât. Elle a reçu une éducation toute différente et vu une société toute autre que celle que je voudrais pour Louise. Mais elle a un si bon cœur, elle a montré tant d’amitié à ma fille, tant d’égards et de complaisance pour moi, elle a si bien profité des conseils que je me suis permis de lui donner ; elle se sent si malheureuse de n’avoir point de mère, que je me suis habituée, depuis quelques mois seulement que je la connais, à la considérer presque comme une seconde fille, et je me suis dit qu’elle pouvait l’être un jour et te rendre heureux.

— Mais, M. Wagnaër, ce vilain homme ?

— Lui, aussi, mon cher, il a bien changé. Je ne ferais point serment qu’il ne se permet pas encore quelques petits prêts usuraires, qu’il ne force pas encore quelques habitans à s’endetter assez pour acquérir bientôt leurs propriétés, mais il s’est montré, me dit-on, bien moins avide depuis une couple d’années, on parle mieux de lui dans la paroisse et il a même fait quelques actions charitables. Quoique protestant, il voit souvent notre curé, il est bon ami avec lui ; il lui a donné de l’argent pour ses pauvres, il a offert le pain bénit au nom de Clorinde et il a payé sa dîme cette année. Ça ne me surprend pas d’une manière, car il n’a jamais beaucoup tenu à sa religion, et il n’a fait aucune objection à ce que Clorinde fut élevée dans la nôtre ; je suis surprise seulement de le voir si libéral. Le curé parle en bien de lui ; et m’a dit plusieurs fois que j’avais des préjugés trop forts contre cet homme. Enfin, tu as dû voir hier qu’il est beaucoup plus aimé des habitans, puisqu’on lui a fait une si belle fête, et que tout le monde paraît content de sa promotion an grade de major……