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CHARLES GUÉRIN.

de la côte du sud, pour passer dans les parages éloignés du golfe, un été de travaux et de périls sans compensation valable, ni dans le présent, ni dans l’avenir. Ils portaient presque tous des chemises rouges et des chapeaux cirés comme ceux des matelots anglais, à l’exception d’un seul qui avait conservé le gilet et la veste grise d’étoffe du pays. La chaloupe passait tout près de terre, si près que celui qui aurait connu chacun de ces hommes aurait pu distinguer leurs traits. On entendait distinctement chaque parole d’une chanson qu’ils chantaient, et au refrain de laquelle les deux écoliers ne manquèrent pas de s’associer en criant de toute la force de leurs poumons :

C’est la belle Françoise,
Allons gai !
C’est la belle Françoise,
Qui veut se marier,
Ma luron lurette,
Qui veut se marier,
Ma luron luré !

Comme si le hasard eût voulu toujours fournir quelqu’aliment nouveau à leur curiosité, lorsque la chaloupe se fut éloignée, ils entendirent le bruit rapide et régulier de quatre avirons, et virent un canot de sauvages qui dépassait la petite île vis-à-vis d’eux, et se dirigeait droit au fond de l’anse. Vigoureusement poussée, la frêle embarcation atteignit dans un instant la grève, trois hommes et deux femmes furent à terre dans moins de temps que nous n’en mettons à le dire, et tirèrent à eux le canot qu’ils renversèrent, afin de s’en faire un abri pour la nuit. Avec des branches sèches et du varec, qu’ils ramassèrent sur les galets les plus élevés, ils allumèrent comme ils purent, un petit feu autour duquel ils s’accroupirent, suspendant à une espèce de faisceau, composé de quatre ou cinq bouts de perches, une vieille chaudière de fer dans laquelle ils avaient préalablement déposé la sagamité de rigueur. Les couvertes de laine, jadis blanches, dans lesquelles ils, se dra-