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CHARLES GUÉRIN.

En même temps, elle regarda dehors et vit plusieurs habitans arrêtés devant sa porte, qui parlaient entr’eux.

— Voilà des gens, dit-elle, qui regardent ma maison, comme s’ils ne l'avaient jamais vue. En voici d’autres qui viennent les rejoindre. Quelle espèce de conseil tiennent-ils et que nous veulent-ils ?

Charles trembla que sa mère n’interrogeât ces gens, et qu’ils ne lui apprissent brutalement le nouveau malheur qui venait de fondre sur elle. Il se décida de suite à tout lui dire. Quelque ménagement qu’il y mît, cette nouvelle était si imprévue ; elle renversait si brusquement tout l’édifice de bonheur que la pauvre mère avait élevé dans son imagination ; elle lui dérobait si cruellement le dénouement déplorable d’une lutte qu’elle croyait finie, et où elle venait de succomber précisément au moment où elle se voyait triomphante, que le coup porté à sa sensibilité fut plus grand encore qu’aucun de ceux qu’elle avait reçus.

Charles raconta tout ce qui s’était passé dans le plus grand détail, exonérant, de bonne foi, M. Wagnaër de toute mauvaise intention : et lui reprochant seulement de s’être laissé effrayer trop promptement par le montant qu’il lui aurait fallu débourser.

Madame Guérin jugea l’affaire tout autrement. À mesure que chaque circonstance se déroulait dans le récit naïf de Charles, elle y voyait de suite les anneaux d’une chaîne mystérieuse de faits, que le hasard seul n’avait pas rassemblés, mais qui résultaient bien d’un complot dont elle entre-voyait l’ensemble, quoiqu’elle ne pût pas en saisir toutes les ramifications. Le rôle odieux que jouait M. Wagnaër dans cette transaction, lui apparaissait clair comme le jour : elle ne pouvait point s’assurer au juste quelle part y avait prise Henri Voisin ; mais il lui était suspect à bon droit, et quant à Clo-