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CHARLES GUÉRIN.

la spoliation, dont un autre avait été victime, le rendait presque cruel. Charles sous son regard de feu, en présence de cet homme à la contenance ferme et décidée, aux larges et puissantes épaules, aux bras musculeux, sentait passer dans son âme des sentimens plus énergiques, une volonté plus inébranlable, une puissance d’actions plus grande que n’en comportait son propre caractère. Il avait confiance non seulement dans le dévouement de son ami, mais encore dans son énergie morale et physique : il lui semblait qu’avec lui il pouvait tout entreprendre.

— J’aurais mal fait, continua celui-ci, de le tuer comme un chien. Il ne faut tuer personne, si chien qu’il soit. Mais quant à ce qui est d’enlever la belle Clorinde, c’est une autre affaire. Il me semble, pour peu qu’elle le veuille, que nous serons parfaitement dans notre droit.

— Rapt de mineure ! observa Charles Guérin, simplement pour la forme.

— Oui, rapt de mineure d’un côté, et spoliation des biens d’un mineur de l’autre côté. Ce sera la peine du talion. Oh ! pour cette affaire-là, j’en suis, et quand même je risquerais d’être un peu pendu, il faut que cela se fasse. As-tu un bon cheval à toi ?

— Le meilleur de la paroisse.

— As-tu quelque argent ?

— À-peu-près trente louis.

— Et vingt louis que j’ai apportés ; mais nous prendrions un pays avec cela. Voici le plan. Il n’y a pas à y aller par quatre chemins. Tu vois Mlle. Wagnaër demain, tu as une explication avec elle ; si elle consent à être ton épouse et à partir avec nous, l’affaire est faite. Nous conviendrons d’une heure quelconque de la nuit. Nous louerons ou emprunterons quelque part un troisième cheval, et voilà que : nous filons par les concessions. Avant le jour nous aurons fait terriblement du chemin, sans que le vieux misérable s'en soit douté.