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CHARLES GUÉRIN.

ceinture rouge aussi, le fouet sous le bras, et la pipe à la bouche ; des habitantes à la jupe de droguet, au mantelet d’indienne, au large chapeau de paille, aussi vives et caquetantes que leurs maris semblaient insoucieux et taciturnes ; des voyageurs des pays d’en haut, célèbres dans toute l’Amérique comme un type unique dans son genre, fiers et goguenards avec leurs chapeaux chargés de rubans, et crânement posés sur le coin de l’oreille, leurs chemises et leurs cravates éclatantes, et leurs belles et larges ceintures de poil de chèvre aux flèches de mille couleurs ; tout ce monde se mêlait à la population de la ville, qui, ouvrière ou bourgeoise, française ou anglaise, se fesait également remarquer par une propreté exquise, une mise et une tenue décente et même un peu recherchée.

Tout ce peuple parlait, criait, bruissait, bourdonnait, allait et venait, et au milieu du vacarme et du mouvement auquel se mêlaient les piétinemens et les cris des animaux que l’on conduisait au marché, Louise croyait sincèrement qu’elle allait perdre la tête et ne pourrait jamais se frayer un chemin.

Heureusement que leur bon ami Jean Guilbault se trouvait là, avec deux calèches et une charrette qu’il avait eu le soin de retenir d’avance. Le jeune disciple d’Esculape monta dans l’une des calèches avec Madame Guérin, Charles prit place dans l’autre véhicule avec sa sœur, et l’oncle Charlot prit soin de la charrette, dans laquelle il eut bientôt fait placer tout le bagage que l’on avait à bord de la goëlette.

La maison que Charles avait fait louer se trouvait dans une des rues transversales du faubourg St. Jean. Elle était d’une pauvre apparence, bâtie en bois sur un solage en pierre, dont une partie sortait de terre à cause de l’inégalité du terrain ; un escalier extérieur conduisait à la porte qu’entourait une petite galerie. Si chétive que fût cette demeure, elle était gaie au premier coup d’œil, à cause de la belle vue que l’on découvrait de chacune des fenêtres. Presque toutes les rues de