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CHARLES GUÉRIN.

Le produit net de l’encan que Madame Guérin avait fait faire avant son départ (et il est bon de noter en passant que le vieux Jean-Pierre avait été dans bien des cas le plus haut enchérisseur) donnait environ cent louis.

Tous comptes réglés, la famille Guérin se trouvait riche d’un très petit mobilier, d’une terre non cultivée qui n’avait pas été vendue, et d’une somme de cinq cent louis. Placé à rente, ce capital donnait juste trente louis par année. Avec cela il était impossible de payer un loyer, si petit qu’il fût, et de vivre, même en se gênant beaucoup, sans gagner quelque chose d’un autre côté.

Le vieil oncle se procura de l’ouvrage dans un chantier, Charles se décida à donner des leçons de français dans une couple de familles anglaises, et Madame Guérin et Louise se courbèrent plus que jamais sur leur aiguille pour faire elles-mêmes toute leur couture, sans compter tous les soins du ménage qui retombaient sur elles, n’ayant plus personne pour les servir.

Les leçons de l’infortune sont presque toujours un bienfait. Elles ne sont funestes qu’aux âmes viles qu’elles paralysent pour toujours. Mais pour les esprits d’élite, la terrible apparition du malheur, comme celle du fantôme de minuit, chasse tous les lutins et les follets qui jusque-là les avaient séduits et égarés. Ils rentrent en eux-mêmes et marchent sans hésiter dans la voie nouvelle que le spectre leur indique du doigt.

Charles se mit à l’œuvre sérieusement. Il devint chez M. Dumont le modèle des étudians, chez ses élèves le modèle des professeurs.

il regretta pendant quelques jours le monde brillant où il n’avait fait que passer, l'avenir enchanteur qui n’avait fait que lui apparaître. Il fut parfois tourmenté bien cruellement par l’énigme insoluble que lui offrait l’étrange conduite de Clorinde, qui continuait à garder le silence.