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CHARLES GUÉRIN.

— Pourrait-on voir M. Jean Guilbault un instant ? fit une voix qui trahissait une vive émotion.

— Mon dieu ! est-ce toi Charles ? cria le jeune homme. Entre vite. Qu’y a-t-il chez vous ?

— Je crains bien que ce ne soit le choléra. Ma pauvre mère est malade depuis quelques heures.

— Docteur, voulez-vous venir avec moi ? Vous m’avez tellement découragé, que je n'oserais administrer le moindre remède.

— Allons ! Encore un nouveau cas. Qu’allons-nous en faire ? Toujours le même problème à résoudre… et point de solution ! Autant vaudrait rouler le rocher de Tysiphe ou combler le tonneau des Danaïdes !

Malgré la fatigue dont il se plaignait, le docteur se rendit à la demeure de Madame Guérin presqu’aussi vite que les deux jeunes gens, qui avaient les meilleures jambes et toutes les raisons du monde pour ne pas languir en chemin. C’est que la science exerçait une puissante attraction sur cet homme dévoué. Il cherchait un spécifique contre le choléra avec le même acharnement que mettaient les alchimistes à la recherche de la pierre philosophale. Quelque fût son découragement, il pensait trouver dans chaque nouveau cas, une meilleure chance, et il risquait de nouveau l’enjeu de sa vie avec l’ardeur concentrée qui anime les joueurs frénétiques autour d’un tapis vert. Jean Guilbault partageait ordinairement avec son patron cet enthousiasme professionnel ; mais dans ce moment, il tremblait de toutes ses forces… l’épreuve qui allait se faire était bien pour lui tout le contraire de ce que les médecins appellent une expérience in animâ vili. Il s’agissait d’existences que l’amitié lui rendait plus chères que la sienne propre.

Au pied de l’escalier qui conduisait à la petite galerie extérieure de la maison, ces trois personnes en rencontrèrent deux