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CHARLES GUÉRIN.

— Adieu mes enfans !

— Bonjour, monsieur Pierre !

— Bon voyage ! bonne santé !

— Que le bon Dieu vous conduise ! — Telles étaient les exclamations des serviteurs de la ferme, qui, hommes et femmes, s’étaient réunis sur le bord du chemin pour assister au départ des deux jeunes gens, que plusieurs d’entr’eux avaient vu élever. Mais ces bons paysans n’étaient pas les seuls spectateurs de cette scène de famille. De l’autre côté, à quelque distance sur la grève, deux hommes, d’une mine et d’une contenance presque sinistres, avaient suivi avec intérêt ce qui venait de se passer. Il y avait même, dans la persistance du regard de l’un de ces deux hommes, quelque chose de fatal. Aussi longtemps que la petite charrette pût être vue, il eut constamment les yeux fixés sur madame Guérin, qui répondait avec son mouchoir aux signes d’adieu que lui fesait l’un de ses fils. Après que la porte de la maison se fut refermée sur les deux femmes, le même regard resta attaché sur la porte elle-même, comme si cet homme eût voulu poursuivre, malgré tout obstacle, une perquisition obstinée et malveillante. Mais, enfin, se détournant brusquement vers son compagnon : Ah cela, fit-il, tu ne crois pas, maître François, que j’en vienne à bout ? Tu ne me connais donc pas ?

— Ah ! dame !… je vous connais et je ne vous connais pas, monsieur Wagnaër. Aujourd’hui ça me paraîtra que je sais toutes vos finesses sur le bout de mon doigt… et puis demain vous allez en inventer d’autres. Tout vous réussit… mais pour la terre des Guérin, voyez-vous, c’est une autre affaire. Vous avez déjà manqué votre coup trois ou quatre fois, et pendant ce temps-là les jeunes gens ont grandi, ils vont faire leur chemin dans le monde, et puis… — Et puis, maître François ?

— Et puis… dame !… voyez-vous ; c’est que j’ai lu, il y