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CHARLES GUÉRIN.

« Débarqué à Liverpool, je n’y demeurai que cinq ou six jours, le temps de faire comme les autres, de gaspiller en folies l’argent que j’avais si bien gagné. L’Angleterre m’était antipathique, et, ce que je regrette beaucoup aujourd’hui, je manquai l’occasion d’étudier chez lui un peuple qui tient entre ses mains les destinées de notre Canada. Tandis que mon ami italien se dirigeait sur Londres, l’anglais et moi nous nous engagions à un capitaine dont le brick fesait voile pour l’Italie.

« L’équipage était un ramassis de gens de tous les pays, principalement des espagnols, des italiens, et des maltais. Mon ami William Johnson était le seul anglais à bord. Il y avait là de sinistres figures, que ne démentaient point trop ceux que la providence en avait affligés. Le capitaine était lui-même un peu flibustier ; du moins je le soupçonnai d’avoir des intelligences avec des contrebandiers. Johnson et moi, n’aimions guères tout ce monde-là, et n’en étions pas plus chéris qu’il ne fallait. Johnson me dit un jour qu’un coup de coude bien appliqué pourrait jeter l’un de nous deux à la mer, et qu’on ne risquerait pas grand’chose pour nous repêcher. Si le premier vaisseau où je m’étais embarqué m’avait fait l’effet, dans les commencemens, d’un purgatoire flottant, celui-là, c’était bien l’enfer.

« Une tempête nous fit relâcher à Bordeaux. Le capitaine qui pouvait avoir ses raisons pour cela, resta quelque temps dans ce port. Nous en profitâmes Johnson et moi pour déserter. À peine avions-nous exécuté notre projet, que je regrettai cet affreux bâtiment. C’est une triste chose de se trouver dans un pays étranger sans argent. Si mal que l’on soit à bord d’un vaisseau, on a sa ration assurée et son hamac où se coucher. Heureusement Johnson était un peu plus au fait que moi, il était aussi muni de quelques guinées. Nous résolûmes de nous rendre à Marseilles en parcourant l’intérieur de la France. Nous achetâmes une lanterne magique,