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CHARLES GUÉRIN.

jouer dans le pays de mes ancêtres. C’était un rude désenchantement pour moi, qui avais toujours rêvé à la France, et qui n’avais pas même daigné regarder l’Angleterre en passant.

Grâce à l’esprit inventif de Johnson et, toute modestie mise à part, grâce aussi à mon éloquence, nos petites affaires n’allaient pas trop mal. Nous avions très souvent un gîte et notre nourriture gratuitement ; nous ramassions beaucoup de gros sous à nos soirées et nous fesions un profit de cent pour cent sur les petits objets de notre pacotille. Si Johnson n’avait pas eu un goût si prononcé pour l’eau de vie, et s’il se fut contenté comme moi de l’excellent vin du crû qu’on nous versait libéralement, nous serions arrivés à Marseille avec une somme assez ronde. Toutefois, malgré les libations de mon compagnon, nous pouvions faire bonne figure à notre entrée dans la ville. Je n’avais point de reproches à faire à Johnson. Il avait fourni tout le capital, il devait avoir une plus large part dans sa liquidation. Il me donna honnêtement la moitié de notre petit pécule. Mon premier soin fut de m’habiller en gentilhomme. Je sentais le besoin de me relever à mes propres yeux tout autant qu’à ceux d’autrui. Je n’étais point trop orgueilleux de mon métier de matelot, ni de celui d’historien ambulant qui l’avait remplacé ; sans compter que j’avais failli passer pour un sauvage.

Johnson s’embarqua pour l’Algérie le surlendemain de notre arrivée. Notre séparation m’affligea malgré moi, car je savais bien qu’il n’y avait pas à rien entreprendre de sérieux avec un tel compagnon. Johnson, en me secouant la main, m’assura que nous nous reverrions quelqu’un de ces jours, soit à la Chine soit au Canada ; car il se promettait bien de faire encore deux ou trois fois le tour du monde.

J’avais choisi une pension assez convenable, et je fis annoncer dans un journal qu’un jeune américain, qui possédait à