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CHARLES GUÉRIN.

jeune fille lisait d’une voix douce et émue, la bonne maman enchaînait avec une merveilleuse rapidité les mailles d’un tricotage, qu’elle destinait à l’un de ses fils.

— Mon Dieu ! dit-elle, que ce pauvre Pierre est heureux de ne pas être sur une île déserte comme ce jeune matelot anglais ! Lui, qui use tant de paires de bas et de hardes de toute espèce !

— Tant qu’à cela, dit Louise, il n’y aurait pas eu assez de feuilles de palmier pour lui, ni assez de peaux de bêtes. Savez-vous que Charles est un vrai bijou auprès de lui ?

— C’est vrai, mais ce pauvre enfant, il ne faut pas lui en vouloir. Il se donne tant de peine. J’ai dans l’idée que ça sera lui qui relèvera la famille… mais continue ta lecture.

— Je ne sais pas, maman, cette lecture commence à me déplaire et à me faire peur. Entendez-vous le vent ? S’il allait se passer pour tout de bon des choses comme celles que nous lisons ! Que ça doit être effrayant un naufrage !

— Lis toujours, ma chère. Avant de nous coucher, nous dirons un memorare pour ceux qui sont dans le danger, et un de profundis pour les défunts.

Et la docile jeune fille reprit sa lecture.

Les bruits que l’on entendait du dehors n’avaient en effet rien de bien rassurant. À travers les éclats de la tourmente on distinguait comme une basse continue le lugubre vent de nord-est. Le choc des vagues qui ressemblait à un glas funèbre et lointain, le froissement du feuillage et le craquement des branches du gros orme près de la maison, les sifflemens du vent dans la cheminée, aigus et stridens comme les miaulemens de plusieurs chats en colère ; tout cela fesait une bien triste diversion, aux rires bruyans que l’on entendait dans l’autre salle. Louise, impressionnable comme on l’est toujours à son âge, ressentait une vague terreur que ne partageait pas sa mère.

D’une grande expérience, d’un esprit élevé, d’une volonté