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CHARLES GUÉRIN.

viner que c’était notre héros que nous leur présentions ainsi métamorphosé, Charles Guérin avait en effet passé par une de ces crises inévitables, qui modifient les idées et le caractère d’un jeune homme ; il avait éprouvé à la suite du départ de son frère une série d’émotions qui avaient rendu plus vague encore et plus inquiète son âme irrésolue quoiqu’ambitieuse.

Par les débris que l’on avait recueillis, on avait découvert que le vaisseau qui avait sombré près de la petite île, était le Royal-George, l’un des navires partis du port de Québec, le jour où Pierre Guérin avait dû s’embarquer. Il ne restait donc que peu de doute à Charles sur le sort de son frère. Ce dernier événement avait été soigneusement caché à madame Guérin ; Louise et Charles se contentèrent de pleurer et de prier en secret, comme on les a vu faire au pied de la croix de la mission[1]. La pauvre mère ignorait et devait toujours ignorer le naufrage qui avait eu lieu tout près d’elle, et ses enfans étaient déjà reconnaissans envers leur frère de la sage précaution qu’il avait eu de prédire d’avance un silence obstiné, puisque cette seule circonstance pourrait leur aider à tromper plus longtemps le désespoir maternel. Une fièvre très forte retint madame Guérin pendant quatre jours au lit, et elle dût seulement à son énergie morale, à un traitement habile, et à la force de son tempérament de survivre au coup terrible qu’elle avait reçu.

Sa première pensée dans sa convalescence, pensée qu’elle ne pût s’empêcher d’exprimer, malgré les sages conseils que Pierre lui avait donnés dans sa lettre d’adieu, sa première pensée fut que le plus jeune de ses fils devait de toutes manières remplacer l’ainé ; il lui fut tout-à-fait impossible de dissimuler combien serait cruelle une seconde séparation après celle qui venait de se faire. Ce premier élan du cœur d’une

  1. On appelle ainsi de pieux monumens qu’on élève dans nos paroisses, en commémoration des missions et des retraites paroissiale.