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CHARLES GUÉRIN.

qu’avec des hommes d’une certaine profession ? Et si c’est de même, de quoi cela dépend-il ? Tu vas encore dire, comme de coutume, que je suis trop curieuse.

« Clorinde et moi, nous avons beaucoup parlé de toi. Elle m’a montré dans un livre de prière, une figure de jeune homme assis dans une barque avec un luth dans une main. Elle trouve qu’il te ressemble. Il faut qu’elle n’ait pas de préjugés contre nous autres, car, je t’assure, que ce jeune homme est beaucoup plus beau que toi.

« Tu sais qu’elle a passé une partie de l’hiver à Québec, chez la mère de cette demoiselle qui était ici l’automne dernier, et qui se promenait si souvent dans la voiture de Mr. Wagnaër. Elle m’a montré les pas de plusieurs jolies danses qu’elle a apprises chez cette demoiselle. Elle dit que maman a tort de ne pas me faire montrer la danse ; moi je trouve que maman a bien raison ; à quoi cela me servirait-il ici ? Maman ne veut pas que j’aille aux noces chez les habitans, et, à part de cela, il n’y a pas d’occasion de sortir.

« Clorinde est bien mondaine ; je crains beaucoup pour son salut. Ça serait bien dommage qu’elle ne fût pas sauvée, une si jolie fille, et qui a l’air si bonne ! Maman dit que, si je la voyais souvent, elle me perdrait. Elle doit venir me chercher demain pour me promener avec elle ; je ne sais pas si maman voudra. Il me semble depuis que je la connais que je la trouve plus belle qu’avant. Elle est bien brune, mais elle a une si belle taille et de si beaux yeux noirs ! Elle m’a dit en riant qu’elle paraissait une négresse près de moi ; mais ça n’empêche pas que je voudrais bien avoir sa taille.

« Pardonne-moi, mon bon Charles, si je t’écris toutes ces folies de petite fille qui ne doivent pas t’amuser du tout ; mais si je te voyais, je te les conterais, et quant je t’écris, c’est absolument comme si je t’avais ici, non plus sous le vieil orme,