Page:Chauveau - Charles Guérin, roman de mœurs canadiennes, 1853.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
78
CHARLES GUÉRIN.

Pour expliquer sa présence et sa familiarité, il nous suffira de dire que, strictement parlant, Henri Voisin aurait dû signer Henri Guillot dit Voisin. De ces deux noms, il avait choisi celui qui lui avait paru le plus passable. Sauf à se laisser appeler Guillot, dans l’occasion, par ses nombreux cousins dont il chérissait et cultivait la parenté. La famille Guillot formait une immense confédération, qui dans ses réseaux enveloppait tout le district. Chacun des membres de cette famille, remarquable par son esprit de corps, son astuce, son activité, et son amour de l’argent, devenait dans sa localité une espèce de courtier ou de limier fesant la chasse aux procès pour le plus grand profit de son cousin l’avocat.

François était de tous les Guillot le plus important, et il le savait bien.

— Comme tu as été longtemps mon cousin ? — fit-il sans se déranger de la chaise à demi renversée, sur laquelle il était étendu et dont il maintenait l’équilibre en appuyant ses pieds sur la cloison, à la manière des yankees.

— Je crois bien, j’ai étudié mon rival et maintenant je le sais par cœur.

— C’est comme je t’avais dit, n’est-ce pas ?

— C’est tout le contraire. Si je t’avais écouté, je me serais perdu à ne jamais me retrouver. Cet original là n’a pas plus envie de se faire prêtre que moi d’aller me pendre.

— Oui dà ! Si on prenait Mam’zelle Clorinde pour juge, elle dirait peut-être qu’il mérite moins d’être cloîtré que toi d’être pendu.

— À son cou tu veux dire ?

— Pour cela, si joli garçon que tu te croie, je t’assure que l’autre lui a tombé dans l’œil. Le bonhomme rit sous cape. Ça lui fait son affaire.

— Tiens, mon cousin, dis ce que tu voudras, M. Wagnaër ne peut pas marier sa fille à Charles Guérin. C’est justement