Page:Chavette - Les Petites Comédies du vice, 1890.djvu/255

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de deux heures, ce qui vous aurait rendu maître des tables ? Ou, plutôt, que ne veniez-vous, dans la journée, à un de ces instants où le café désert vous aurait permis d’entretenir votre belle à loisir ? Ah ! voilà ! c’est que, je vous l’ai dit, j’étais exact, j’avais la bêtise d’être exact. Ma vie était si bien réglée que vous ne m’auriez pas même fait dire « tu » à une femme à un autre moment que le deuxième dimanche du mois, de quatre heures dix à quatre heures cinquante.

Je reviens à mon numéro 2.

Le bouchon coupé, le caviar, la danse des banquettes, tout fut inutile avec lui, par cette raison qu’il était sourd, borgne de mon côté, et que ma banquette ne touchait pas la sienne. Je voulus le prendre par l’avarice, et, sur sa table, au coin de son coude borgne, j’empilais verres, assiettes, carafes, qu’il poussait bientôt à terre. Ce n’était, chaque matin, entre nous, qu’une montagne de débris qu’il payait sans même s’étonner de sa maladresse. Le cafetier en fit même une spéculation, en ne lui servant qu’un matériel fêlé que le malheureux soldait comme neuf.

En quatre ans, le numéro 2 a cassé de quoi monter le ménage de toutes ces peuplades sauvages de l’Océanie qui manquent tellement du nécessaire, qu’avec une seule paire de gants dix hommes s’habillent. Pauvre numéro 2 ! Je le plains aujourd’hui ! Car j’ai appris plus tard que s’il était tant opiniâtre au poste, c’est qu’il aimait aussi la dame du comptoir. Enfin, à bout de moyens après quatre années, je songeais à adresser sur lui une lettre anonyme à la préfecture de