Supposé qu'on la trompe, et qu'elle me le croie ;
Où donc est encor là le grand sujet de joie ?
Je jouis d'une erreur ; et j'aurais souhaité
Une source plus pure à ma félicité !
Un mérite étranger est cause que l'on m'aime ; [985]
Et je me sens jaloux d'un autre, dans moi-même !
Que la délicatesse est folle en ses excès !
Eh ! Monsieur, y faut-il regarder de si près ?
Qu'importe du bonheur la source fausse ou vraie ?
Tout ce que j'entrevois, de plus en plus m'effraie. [990]
Le bonheur du poète était encor douteux ;
Mais il est mon rival, et mon rival heureux.
De Lucile, sans cesse, il contemple les charmes.
Il se voit, vingt rivaux, sans en prendre d'alarmes.
À l'estime du père il a le plus de part. [995]
Seule, avec son valet, je te trouve à l'écart.
Que te veut-il ? Pourquoi s'enfuit-il à ma vue ?
Quels étaient vos complots ? D'où vient paraître émue ?
Réponds.
Tout bellement ! Vous prenez trop de soin ;
Et c'est aussi pousser l'interrogat trop loin. [1000]
Je t'épierai si bien aujourd'hui... prends-y garde.
Quelque part que tu sois, crois que je te regarde.
Cependant, allons voir, en les feuilletant bien,
Si ces tablettes-ci n'instruisent de rien.
Scène III
M'épier ! Doucement ! Ce serait une chaîne. [1005]
Quoiqu'on soit sans reproche, on ne veut rien qui gêne.
Ah ! C'est peu d'être injuste ; il ose être importun !
Aux trousses du fâcheux je vais en lâcher un,
Qui, s'attachant à lui, saura bien m'en défaire.
Le voici justement.