Page:Cherbuliez - Amours fragiles, 1906.djvu/152

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beaucoup de leurs compatriotes, et ils auraient pu se disputer vingt-quatre heures durant sans avoir envie de s’étrangler. Entre la poire et le fromage, M. Severn, je ne sais à quel propos, s’avisa de citer avec éloge une parole « du regrettable, de l’inoubliable Abraham Lincoln », assassiné quelques semaines auparavant par John Wilkes Booth. M. Bloomfield tressaillit légèrement, puis il se pencha sur son verre, l’examina quelques instants, le porta à ses lèvres, le vida d’un seul trait. Ce fut toute sa réponse.

De toutes les méchantes et vilaines actions qu’a vues s’accomplir dans le cours des siècles notre pauvre globule terraqué, j’estime que la plus criminelle, la plus inexcusable, la plus insensée, est l’assassinat consommé par John Wilkes Booth, sur la personne du vertueux président Abraham Lincoln. J’ai toujours ressenti les plus vives sympathies pour celui que les Américains appelaient the old Abe, pour cet homme de rien, pour ce fils de ses œuvres, chargé par un décret du destin de gouverner et de sauver la république étoilée à l’heure la plus critique de son histoire.

Il parut d’abord inférieur à sa tâche, on se moquait de lui, on le mettait au défi de porter jusqu’au bout son écrasant fardeau. Lui-même semblait