Page:Cherbuliez - Amours fragiles, 1906.djvu/160

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en lui qu’un comédien sans talent, je suis prêt à admettre qu’il était exécrable dans le rôle de Hamlet et que vous avez sujet de regretter vos six dollars ; mais vous convenez que ce pauvre homme ne manquait pas d’imagination. Les gens qui en ont finissent toujours par être leur propre dupe ; pour employer le mot vulgaire, ils s’emballent, ils se figurent que c’est arrivé, que leurs passions imaginaires et fictives sont de vraies passions, que le fantôme qu’ils se sont forgé est un être en chair et en os, que Lincoln est un affreux tyran et que Booth a été mis au monde pour le tuer. Un jour, l’histrion se dit : « Si j’étais Brutus et si j’en venais à me persuader qu’Abraham Lincoln est César, je choisirais avec soin mon lieu et mon heure. Je voudrais frapper ma victime devant une foule assemblée, en plein théâtre. Après lui avoir brûlé la cervelle, je resterais debout dans une attitude solennelle et dramatique, tenant mon pistolet d’une main, de l’autre agitant un poignard. Tous les hommes se lèveraient en sursaut pour me regarder, les femmes s’évanouiraient, et celles qui ne s’évanouiraient pas diraient : Seigneur Dieu, qu’il est beau ! Ce serait vraiment une superbe scène. » Or il arrive que l’histrion, à force d’y penser, se prend à croire à