Page:Cherbuliez - Amours fragiles, 1906.djvu/319

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devenait plus difficile à rattraper, qu’entre elle et lui il y aurait bientôt toute l’épaisseur d’une forêt.

Alors son sang bouillonna dans ses veines ; il lui sembla que sa colère décuplait ses forces, qu’il avait à ses pieds des bottes de sept lieues pour rejoindre son voleur, des bras d’acier pour le saisir, des mains de fer pour l’étrangler, et il fit un violent effort pour se dégager. L’arbre ne le lâcha pas, il garda son prisonnier. On l’avait insulté, cet arbre, on lui avait fait l’affront de le comparer aux sapins de la Suisse saxonne ; il prenait sa revanche, il se vengeait, et la vengeance est douce au cœur des vieux arbres, même quand ils sont morts. Quand M. Drommel eut reconnu la vanité de ses efforts et que la gymnastique allemande avait trouvé son maître, il éprouva un accès de rage, il fut comme suffoqué par le sentiment de son impuissance, auquel se joignaient l’humiliation d’avoir été dupe, la honte d’avoir pu croire aux oliviers et aux oranges de Malaserra, l’amer chagrin de s’être laissé berner par un faux prince, par un escroc de haute volée, qui dans ce moment faisait sans doute des gorges chaudes en pensant à son cher ami. S’il n’avait pas eu un bâillon sur la bouche, il aurait poussé un cri plus terrible que celui qui jadis dans les plaines