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LE COMTE KOSTIA

— Je vous remercie du conseil, répondit doucement Gilbert ; mais je suis désolé de voir qu’on vous a donné une idée très-fausse de moi. Me permettez-vous, monsieur, de me peindre à vous tel que je suis ?

— Je n’y vois pas d’inconvénient, dit-il.

— Je ne suis point une belle âme, reprit Gilbert ; je suis tout simplement une bonne âme, ou, si vous l’aimez mieux, un honnête garçon qui prend les choses comme elles viennent et les hommes tels qu’ils sont, qui ne se pique de rien, ne prétend à rien, et qui se soucie comme d’un fétu de ce que les autres peuvent penser de lui. Je ne nie pas que, dans ma première jeunesse, je n’ai subi tout comme un autre ce qu’un honnne d’esprit appelait l’ensorcellement des niaiseries ; mais j’en suis bien revenu. J’ai trouvé dans la destinée un magister morose, un peu brutal, qui m’a enseigné l’art de vivre à grands coups de martinet. Aussi ce qu’il y avait en moi de romanesque s’est réfugié dans mon cerveau, et mon cœur est devenu le plus raisonnable de tous les cœurs. Si j’avais le bonheur d’être à la fois riche et artiste, Je prendrais la vie comme un jeu ; mais, n’étant ni l’un ni l’autre, je la traite comme une affaire. Croyez-m’en, monsieur, la vie n’est pour moi qu’une affaire tout comme une autre, ou, pour mieux dire, un peu plus épineuse, un peu plus compliquée qu’une autre, et je n’ai garde de lui reprocher de n’être ni une idylle ni un opéra. Seulement, comme il est bon de prendre quelquefois du relâche, quand je veux me reposer de ma grande affaire, qui est de vivre, je ferme boutique et je vais au spectacle… Je porte ici, ajouta-t-il en se frappant