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LE COMTE KOSTIA

mait à l'arrière, le bruit sourd de la rame quand elle plongeait dans le courant, et, plus doux encore, quand elle en ressortait, le pleur adorable de l'eau qu'elle laissait retomber goutte à goutte. Cette musique-là faisait un bien grand contraste avec celle que j'avais entendue la veille à la même heure. Le vent du nord s'était levé dans la soirée, et vers onze heures il était devenu furieux ; il remplissait les airs d'aboiements funèbres : c'était une rage qui ne se peut dire. Les girouettes grinçaient, les tuiles frottaient les unes contre les autres, les poutres des toitures tremblaient dans leurs mortaises, les murailles tressaillaient sur leurs fondements. D’instant en instant, une rafale se précipitait sur ma fenêtre avec des hurlements sauvages, et de mon lit je croyais apercevoir à travers la vitre les yeux sanglants d'une bande de loups affamés. Dans les courts intervalles où ce grand vacarme du dehors s’apaisait, des murmures étranges partaient de l'intérieur du château; les boiseries faisaient entendre de lugubres craquements; il n'était ni fente dans les cloisons, ni fissure aux plafonds d'où ne sortît un soupir ou de rauques gémissements. Et parfois tout cela se taisait, et j'entendais seulement à l'extrémité des corridors comme un léger chuchotement de fantômes qui babillaient dans l’ombre en frôlant les murailles; puis tout à coup ils prenaient leur élan, les planchers tremblaient sous leur piétinement saccadé, ils gravissaient en tumulte l'escalier qui conduit à ma chambre, et venaient s'abattre sur le seuil de ma porte en poussant des lamentations indicibles.

« En voilà assez sur la case, direz-vous peut-être; parlez-nous donc un peu du patron. Cet homme ter-