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Page:Cherbuliez - Le comte Kostia (7e édition).djvu/55

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LE COMTE KOSTIA

unissait la tolérance sans limites d'un philosophe à la brûlante charité d'un saint. Il avait passé sa vie à voir les choses telles qu'elles sont, et il persistait à croire que Dieu est le secret de tout. Je lui demandais un jour quelle mission il attribuait à la Russie; il me répondit par cette définition : « Tout pacifier en comprenant tout. » Utopie ou non, voilà qui vaut mieux que d'aller porter M. Scribe chez les Mandchoux… Vous n'aimez pas les Russes, mon cher docteur ; vous les avez souvent dénigrés devant moi, et je vous laissais dire; aujourd'hui que je vis en Russie, je me crois obligé de vous répondre. Vous les appelez des Kalmouks; c'est éluder la question par une calembredaine. Les Russes sont des occidentaux qui ont les pommettes et l'imagination orientales. Que vous ayez peur d'eux, j'y consens; ce n'est pourtant pas une raison pour leur dire des injures. La Russie a l'œil perçant et l'ouïe fine; ses regards vont jusqu'à Pékin, et elle emploie ses deux oreilles à écouter tout ce qui se dit en Europe. Oh! soyez sûr qu'elle n'en perd pas un mot. De son côté, elle a beaucoup de choses à nous dire; seulement pour nous faire ses ouvertures, elle attend le jour où sa voix pourra porter de Constantinople jusqu'à Lisbonne. Tout cela est très-inquiétant, mais cela n'empêche pas que le peuple russe ne soit un grand peuple. Les Slaves sont de toutes les races de la terre la plus malléable, la plus flexible; c'est une argile plastique capable de recevoir toutes les empreintes et de revêtir toutes les formes. Aussi possèdent-ils de nature le talent de l'imitation et le don des façons singeresses; mais que cette flexibilité de l'esprit se trouve alliée à un caractère