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LE COMTE KOSTIA

çonne, mon enfant, que vous répétez une leçon apprise.

— Et que savez-vous de mon âge ? s’écria-t-il en colère. Par quoi en jugez-vous ? Les visages sont-ils des horloges qui marquent les heures et les minutes de la vie ?… Eh bien ! oui, je n’ai que seize ans ; mais j'ai plus vécu que vous. Je ne suis pas un rat de bibliothèque, moi : ce n’est pas dans les in-folio que j'ai étudié le monde. Dieu merci ! la bonne providence pour favoriser mon instruction, a rassemblé sous mes veux des échantillons de l'espèce humaine qui m’ont servi à juger du reste, et plus j’ai acquis d'expérience, plus je me suis convaincu que tous les hommes se ressemblent. C'est pour cela que je les méprise tous, tous sans exception.

— Je vous en remercie sincèrement pour moi et jour votre groom ! répondit Gilbert en souriant.

— Ne vous inquiétez point de mon groom, reprit Stéphane en abattant d’un coup de cravache des feuillages qui lui barraient le chemin. D’abord il ne sait guère le français ; ensuite j’ai beau lui dire en russe que je le méprise, il ne s’en porte pas plus mal. Bien logé, bien nourri, bien vétu, que lui importent mes mépris ?… Et d’ailleurs, sachez pour votre gouverne que mon groom n’est pas un groom ; c’est mon geôlier. Je suis un prisonnier gardé à vue ; ces bois sont un préau où je ne puis me promener que deux fois la semaine, et cet excellent Ivan est mon gardien. Fouillez ses poches, vous y trouverez un martinet… »

Gilbert se retourna pour examiner le groom, qui répondit à son regard scrutateur par un sourire intelligent et jovial. Ivan représentait le type du serf