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Page:Cherbuliez - Le comte Kostia (7e édition).djvu/72

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LE COMTE KOSTIA

commerce avec beaucoup d'hommes dont la société ne lui agréait pas, il avait contracté l'habitude d'observer froidement les caractères, de conserver dans toutes les rencontres la libre possession de lui-même. Aussi était-il fort étonné de ce qui venait de lui arriver. Il avait éprouvé, en conversant avec Stéphane, une inquiétude, un secret malaise qu'il ne se rappelait point avoir jamais ressenti le caractère passionné de ce jeune homme, la brusquerie de ses manières, où se mêlait une grâce libre et sauvage, l'exagération de son langage, qui trahissait le désordre d'une âme mal gouvernée, la rapidité avec laquelle se succédaient ses impressions, la douceur naturelle de son parler, dont les mélodies caressantes étaient entrecoupées de bruyants éclats de voix et d'accents rudes et âpres, ses yeux gris qui, dans ses accès de colère ou d'émotion, devenaient presque noirs et jetaient des flammes, le contraste que faisaient la noblesse et la distinction de son visage et de son maintien avec ce mépris arrogant des convenances où il semblait se complaire, enfin je ne sais quel douloureux mystère empreint sur son front et dans son sourire, tout cela donnait beaucoup à penser à Gilbert et le troublait profondément. L'aversion qu'il avait d'abord ressentie pour Stéphane s'était changée en pitié depuis que le pauvre enfant lui avait fait voir ce bracelet rouge qu'il appelait son « maître à penser; » mais la pitié qui n'est pas accompagnée de sympathie est un sentiment auquel on ne se livre qu'à regret. Gilbert se reprochait de s'intéresser trop vivement à ce jeune homme, qu'il n'avait aucune raison d'estimer; il s'en voulait davantage encore de ce qu'à sa pitié se mêlaient un