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Page:Cherbuliez - Le comte Kostia (7e édition).djvu/75

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LE COMTE KOSTIA

d'une fois votre lecture pour dire aux primevères et aux anémones qui tapissent ce talus : « Je suis un de vos frères! » Mon Dieu! que je me repens d'avoir troublé ce charmant entretien! Et tenez, justement vos yeux sont un peu couleur de pervenche. Cette fleur a beaucoup de mérite : elle a peu de parfum, mais elle n'a pas d'épines. Et vraiment je comprends pourquoi tantôt vous écoutiez d'un air si béat les psalmodies de ces séraphins de carnaval. Dans votre passion pour les plantes, vous en voyez partout, et vous compariez dans votre esprit ces méchants petits rustauds à de beaux lis blancs, emblème de candeur et d'innocence. Et moi, cruel, je suis venu souffler sur vos illusions ; je vous ai dit : « Pauvre ingénu, regardez mieux ces anges, vous leur verrez le diable au fond des yeux. L'humanité n'est pas un parterre de roses et de lis, mais un champ inculte et abandonné, où foisonnent à l'envi l'ortie, la belladone et la froide ciguë… » Oh! comme vous devez maudire mon impertinence et ma misanthropie !

— Rassurez-vous, monsieur, lui répondit Gilbert avec un sourire placide. Vous vous exagérez l'effet que peuvent produire vos paroles. Je les ai prises pour ce qu'elles valent, c'est-à-dire pour des boutades de jeune homme. Je ne sais quelles raisons vous pouvez avoir de mépriser vos semblables; mais l'intempérance de votre langage trahit votre jeunesse et votre inexpérience. A votre âge, on est décisif, tranchant, absolu dans ses jugements; on érige ses impressions en systèmes, on dogmatise en vers et en prose, on aime les couleurs chargées, on a peu de nuances dans l'esprit et dans le ton. De tout