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LE COMTE KOSTIA

était souvent plein de prévenances pour son singe, nommé Solon, charmant sapajou très mal élevé dont il approuvait toutes les fredaines ; mais dans les soins qu'il lui rendait, la nuance de respect était moins accusée. C'est là ce que le père Alexis constata avec une surprise bien motivée; aussi regardait-il avec de grands yeux cet animal curieux qui menaçait de supplanter Solon. De son côté, Gilbert observait Stéphane : il sentait que de moment en moment un fossé plus profond se creusait entre ce jeune homme et lui; mais Stéphane n'en marqua rien, ses regards étaient muets comme ses lèvres.

La conversation finit par rouler sur les sujets que le comte se plaisait chaque jour à débattre avec son secrétaire. Ils parlèrent du Bas-empire, que M. Leminof regardait comme l'âge le plus prospère et le plus glorieux de l'humanité. Il goûtait peu les Périclès, les César, les Auguste et les Napoléon; il estimait que l'art de régner n'avait été compris que des Justinien et des Alexis Comnène. Et comme Gilbert, au nom de la dignité humaine, protestait vivement contre cette thèse :

« Halte-là! dit-il: pas de grands mots, pas de déclamations! Écoutez-moi plutôt. Ces faisandeaux sont bons. Voyez comme le père Alexis s'en régale. A qui doivent-ils ce fumet qui l'enchante? A la haute sagesse de mon cuisinier qui leur a laissé le temps de se mortifier et de se faire. Il nous les a servis à point. Quelques jours plus tôt, ils auraient été coriaces; quelques jours plus tard, ils étaient par trop hasardés et les vers s'y mettaient. Mon cher monsieur, il en est des sociétés comme du gibier. Le bon moment pour elles, c'est quand elles sont en