II
EDWARD BURNE-JONES. — W. B. RICHMOND
e n’est pas au niveau moyen que prétend se tenir l’art
de M. Burne-Jones. M. Edward Burne-Jones est
essentiellement un lettré. Il venait de terminer ses
études à Oxford en même temps que M. William
Morris et M. Spencer Stanhope, quand D. G. Rossetti
leur mit à chacun le pinceau en main et, avec le
concours de MM. Valentin Prinsep et Arthur Hughes,
— qui étaient, eux, élèves de la Royal Academy, —
leur fit peindre la curieuse fresque de Oxford-Union
dont il ne reste plus que l’ombre. Tous ces jeunes
gens ont depuis fourni une belle carrière ; l’un d’eux
cependant, M. William Morris, le poète romantique du
Paradis terrestre et de la Défense de Guenevere, a
porté plus spécialement son effort d’artiste dans la
direction des arts décoratifs.
Cette résurrection simultanée de la fable antique et des plus vieilles légendes du moyen âge que M. William Morris a tentée et si magnifiquement accomplie dans ses admirables poèmes, M. E. Burne-Jones, sans s’interdire les libres inventions de sa fantaisie, l’a réalisée avec une égale supériorité dans son oeuvre de peintre.
Notre public français connaît seulement les trois tableaux d’une étrangeté si exquise que l’artiste avait envoyés à notre Exposition universelle en 1878 : l’Amour docteur, cette singulière et charmante consultation que l’Amour en bonnet fourré, en robe de velours bleu, le carquois à l’épaule cependant et l’arc à la main, donne à deux adorables fillettes si joliment enlacées dans l’attitude de la curiosité ; — l’Amour dans les ruines, où le Poète, qui est ici comme le symbole des éphémères destins de l’amour, contemple douloureusement la puissante reprise des forces naturelles et instinctives sur l’anéantissement des choses humaines. À l’analyser ici en quelques mots, l’idée semble philosophique plutôt que pittoresque ; mais c’est le très rare mérite de l’artiste que, en dépit de l’extrême subtilité de ses intentions, il leur donne une forme absolument concrète, plastique ; si l’idée mystique et symbolique que l’oeuvre recèle peut échapper à l’oeil distrait de celui qui voit celle-ci dans une exposition, il n’en est pas moins saisi, arrêté au passage par des beautés d’art bien exceptionnelles, un goût personnel et très raffiné de la forme et un sens vraiment supérieur des délicatesses de la coloration. Je ne sais rien de plus délicieux, en ce tableau de l’Amour dans les ruines, que le ton des fleurettes ouvrant leurs clochettes d’un bleu si doux et des ronces fleuries étreignant des libres courbes de leurs méandres épineux la vieille pierre brisée géométrique où courent de puissants vestiges de bas-reliefs. En ces savants contrastes de la ligne et aussi de la couleur se révèle le peintre, un très grand peintre, de même que le poète se trahit dans le choix très particulier du sujet. Poète et peintre, n’est-ce pas l’artiste complet ?