Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/115

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

outrageante, estompée contre un réverbère solitaire, rappela irrésistiblement à Syme « le bonhomme tortu qui fit un mille tordu », dont il est question dans les chansons de nourrice. On était vraiment tenté de croire que sa forme tordue lui avait été donnée, imposée, par ces rues tortueuses.

Il se rapprochait, et la lumière du réverbère se reflétait sur son binocle relevé, sur sa figure patiente, qu’il tenait droite, immobile. Syme l’attendait comme saint Georges attendit le dragon, comme un homme qui va provoquer une explication finale, ou la mort.

Et le vieux professeur alla droit à Syme, et passa devant lui comme devant un inconnu, sans un regard de ses yeux éplorés.

Ce silence, cette sorte d’innocence jouée, exaspérèrent Syme. Le vieillard semblait protester, tacitement, par son visage fermé, par ses manières, en quelque sorte incolores, qu’il ne poursuivait personne et que toutes ces rencontres avaient été de simples et insignifiantes coïncidences.

Syme se sentit galvanisé par une soudaine énergie, nuancée de fureur et d’ironie. Il fit un geste violent, qui faillit faire tomber le chapeau du professeur, cria quelque chose comme : « Attrape-moi si tu peux ! » et se mit à courir à travers le large et blanc Circus. Impossible maintenant de se cacher. En se retournant, il put voir le vieillard qui le poursuivait à grandes enjambées. On eût dit deux hommes se défiant à la course. Mais la