Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/29

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— Que boirez-vous ? reprit Gregory. Pour moi, je ne prendrai qu’une crème de menthe ; j’ai dîné. Mais le champagne de cette maison n’est pas à dédaigner. Commencez, du moins, par une demi-bouteille de pommery.

— Merci, fit Syme impassible. Bien aimable…

Il essaya de renouer la conversation ; mais il fut interrompu, dès la première phrase, par la soudaine apparition de la langouste. Il la goûta, la trouva excellente et se mit à manger de bon appétit.

— Vous m’excuserez si je ne vous cache pas mon plaisir, dit-il à Gregory, gaîment. Je n’ai pas souvent la chance de rêver comme aujourd’hui. Car ce n’est pas un fait banal qu’un cauchemar aboutisse à une langouste. D’ordinaire c’est le contraire qui arrive.

— Mais vous ne dormez pas, je vous l’assure ! Vous approchez même du moment le plus vivant et le plus poignant de votre existence… Ah ! voici votre champagne… Je conviens qu’il peut y avoir, disons une certaine disproportion entre l’organisation intérieure de cet excellent hôtel et ses dehors simples et sans prétentions. Ce contraste est un effet de notre modestie. Car nous sommes les gens les plus modestes qu’il y ait jamais eu au monde.

— Et qui sommes-nous ? demanda Syme en vidant son verre.

— Mais, c’est tout simple : nous sommes ces anarchistes sérieux auxquels vous refusez de croire.