Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/55

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— Oh ! oh ! protesta Witherspoon.

— Je ne suis pas fou ! répéta Gregory avec l’accent d’une si émouvante sincérité que l’assemblée en fut, un instant, ébranlée. Je ne suis pas fou ; mais je vais vous donner un conseil que vous pourrez juger fou s’il vous plaît. Bien plus, ce n’est pas un conseil, puisque je ne puis alléguer en sa faveur aucune raison. Je dirai donc que c’est un ordre, et je vous adjure de m’obéir. Dites que cet ordre est fou, mais suivez-le ! Frappez-moi, si vous voulez, mais écoutez-moi ! Tuez-moi, mais obéissez-moi ! Ne votez pas pour cet homme !

La vérité est si terrible, même enchaînée, qu’on sentit aussitôt vaciller comme un roseau la précaire et insensée victoire de Syme. Mais on ne s’en serait pas aperçu à voir les yeux bleus de Syme. Il se contenta de dire :

— Le camarade Gregory ordonne…

Et le charme fut rompu, et un des anarchistes demanda à Gregory :

— Qui êtes-vous ? Vous n’êtes pas Dimanche !

Et un autre ajouta d’une voix plus grave :

— Vous n’êtes pas Jeudi non plus.

— Camarades ! s’écria Gregory et sa voix était celle d’un martyr qui, par excès de douleur, ne sent plus la douleur. Camarades ! Que m’importe que vous détestiez en moi un tyran ou un esclave ? Si vous repoussez mes ordres, écoutez mes abjectes prières ! Je m’agenouille devant vous, je me jette à vos pieds, je vous implore : ne déléguez pas cet homme.