Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/76

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lui voyant faire aucun signe, il avait cru s’être trompé. Mais, de nouveau, il revenait à la certitude que cet homme devait jouer un rôle dans sa folle aventure. Un individu frôlé, presque, par un étranger ne reste pas à ce point immobile et calme sans raison. Il était aussi inerte et à peu près aussi énervant, par là même, qu’une poupée de cire. Syme considérait toujours cette figure pâle, délicate et digne, dont le regard éteint ne se détournait pas de la rivière, et tout à coup, tirant de sa poche le document qui lui conférait le titre de Jeudi, il le mit sous les yeux tristes et doux de l’inconnu. Alors, celui-ci sourit, d’un sourire inquiétant, d’un sourire « d’un seul côté », qui haussait la joue droite et abaissait la gauche.

Raisonnablement, toutefois, il n’y avait là rien d’effroyable. Bien des gens ont ce tic nerveux, ce rictus grimaçant, et il en est même chez qui c’est une grâce. Mais, dans les circonstances où se trouvait Syme, sous l’influence de cette aurore menaçante, avec la mission meurtrière dont il était chargé, dans la solitude de ces grandes pierres ruisselantes, il reçut de cet accueil une impression étrange, qui le glaça, qui le paralysa. Ce fleuve silencieux, cet homme silencieux, au visage classique… Et, comme touche finale au cauchemar, ce sourire grimaçant.

Mais cette grimace s’effaça instantanément, et la physionomie de l’anarchiste reprit son expression d’harmonieuse mélancolie. Sans plus de questions