Aller au contenu

Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui se détachait sur la mer, aussi libre que la mouette qui planait au dessus de la falaise. Il avait un air mystérieux, comme s’il voulait apprendre à la rue entière que rien ne pouvait lui faire trahir les délicats secrets professionnels qu’on venait de lui confier. Il fit le geste d’enfiler une paire de gants invisibles et monta tout naturellement dans le hansom-cab avant même d’y avoir songé. Le cocher rabattit son chapeau sur ses yeux et s’éloigna rapidement parmi les rues raides et caillouteuses.

Pour le moment, gardons un silence complet sur ce qui se passa entre le magistrat et le docteur. Murrel lui-même éprouvait une tendance curieuse à laisser tomber le sujet et à ne plus même y penser. Il avait la réputation d’aimer à jouer des tours, mais il n’envisageait pas seulement celui-là comme une mauvaise farce jouée au docteur étranger. Un sentiment plus vague et plus heureux régnait dans son esprit, comme si toute l’histoire était plutôt devant lui que derrière, comme si la libération inespérée d’un pauvre vieux toqué, avec sa manie de « cécité des couleurs », n’était que le symbole d’une libération plus étendue, et l’entrée dans un monde meilleur. Quelque chose avait cédé : peut-être n’était-ce encore qu’un peu de bureaucratie, en attendant autre chose.

Comme le cab tournait le coin, un rayon de soleil enfila la rue en pente ; on l’eût dit solide comme ceux qui traversent les nuages dans les vieilles Bibles illustrées. Levant les yeux vers la haute maison ancienne, Murrel vit la fille de Hendry.

C’était une femme nouvelle, toute différente de celle qui s’abritait dans l’ombre de l’étroit escalier. Ce n’était pas seulement le rayon de soleil qui la faisait s’épanouir sur son balcon comme une fleur magique. C’étaient la surprise et la joie, l’admiration