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Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/232

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chevalier habillé de vert, solennel et grotesque, sauta à califourchon sur le cheval de fiacre et brandit son épieu. Ceux qui furent témoins de cette scène, avant qu’un rire général ne l’engloutît comme la nuit efface un paysage illuminé par un éclair, ceux-là, pendant un instant rapide, crurent voir ressusciter un mort. Les os du visage émacié, la fourche flamboyante de la barbe, les yeux creux et frénétiques faisaient jaillir les souvenirs : grand et raide au dessus de la selle de Rossinante, revêtu d’un équipement minable, il brandissait cette vaine lance qui depuis trois cents ans ne nous a rien appris qu’à rire de sa menace vaine. Derrière lui se dressait une ombre béante : le cab grotesque, pareil aux mâchoires d’un dragon moqueur qui le poursuivait à jamais, comme la caricature répand son ombre sur tout ce qui fait la dignité et la beauté de notre vie ; et, au-dessus de tout, l’esprit humain, léger et vain plutôt que malveillant, regardant de haut les plus nobles choses d’ici-bas.

Mais en vain cet appendice absurde, branlant et surplombant, demeurait accroché derrière lui comme un poids écrasant : à cette minute tout s’effaçait, tout disparaissait devant la force et la passion formidables du visage de Don Quichotte.