Aller au contenu

Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une force de la nature, aussi lointaine, aussi indifférente et cruelle que toute la nature. Le chevalier chevauche de nouveau dans une forêt. Seulement il est perdu dans les rouages, au lieu d’être perdu dans les bois. Vous avez construit votre système de mort si gigantesque que vous ne savez plus vous-même où, ni qui il frappera ! C’est là le paradoxe ! Les choses sont devenues incalculables à force d’être calculées. On a enchaîné les hommes à des outils si formidables qu’on ne sait plus sur qui les coups retombent. Vous avez justifié le cauchemar de Don Quichotte. Les moulins sont des géants.

— Y a-t-il un remède ? questionna l’autre,

— Oui, et vous l’avez trouvé vous-même. Vous ne vous êtes pas embarrassé de principes quand vous avez vu que ce fou de docteur était plus fou que son client. C’est vous qui menez et moi qui suis. Vous n’êtes pas Sancho Pança, vous êtes l’Autre.

Il étendit la main avec son ancien geste :

— Ce que je disais sur le siège du juge, je le répète sur le grand chemin : vous êtes le seul d’entre eux qui soit né de nouveau. Vous êtes le Chevalier revenu.

Douglas Murrel fut soudain horriblement confus.

— Voyons, dit-il, il ne faut pas m’attribuer tant de mérite. Je n’ai rien de Sir Galahad. J’espère avoir fait de mon mieux pour le vieil Hendry, mais sa fille me plaisait. Elle me plaisait même beaucoup.

— Le lui avez-vous dit ? demanda Herne sans circonlocutions.

— Je ne pouvais guère, juste au moment où elle m’avait de l’obligation.

— Mon cher Murrel, cria Herne, voilà qui est tout à fait don Quichottesque !

Murrel bondit sur ses pieds et poussa un violent éclat de rire.