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Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/91

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Murrel avec une certaine émotion. Si je tombe dans mon premier assaut contre le comptoir des Occasions, dites-leur que ma dernière pensée s’est fixée sur Julian Archer ; déposez une petite pierre à l’endroit où je tomberai, et quand les expositions de printemps reviendront avec tous leurs oiseaux et leurs fleurs, pensez à moi. Adieu ! Bonne chance !

Et, brandissant dans les airs sa canne robuste avec un geste de bénédiction, il s’engagea d’un pas alerte dans le sentier qui traversait le parc, laissant la silhouette sombre sous le porche le suivre des yeux d’un air inquiet.

Les oiseaux du printemps qu’il venait d’évoquer avec tant de pathétique chantaient en effet dans la plantation ensoleillée de petits arbres qu’il traversait. Les touffes de feuillage vert clair elles-mêmes avaient l’air de plumes naissantes. C’était un de ces moments de l’année où il semble qu’il pousse des ailes à l’univers. Les arbres se dressaient sur la pointe des pieds, prêts à prendre leur élan dans le sillage du grand nuage blanc et rose qui volait devant Murrel et le précédait dans les airs comme un chérubin héraut du Ciel.

Des souvenirs enfantins s’éveillèrent dans sa mémoire, et pour un peu, il se fût figuré qu’il était le Prince Charmant, et son grossier bâton une épée. Puis il se rappela que son entreprise ne l’emmènerait pas dans des forêts et des vallées, mais dans un labyrinthe de villes banales et bourgeoises, et son visage laid, intelligent et sympathique se plissa d’un rire ironique.

Par petites étapes, il se dirigea d’abord vers la grande ville industrielle où il avait fait sa fameuse tournée avec John Braintree. Il n’était plus en humeur d’orgie, mais dans l’attitude rigide et com-