Page:Chevalier - Accord de l'économie politique et de la morale, 1850.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je vous ai déjà signalé un des vices qui, aux yeux de l’économie politique, affectent la plupart des doctrines qu’embrasse la dénomination de socialisme. Il en est un autre que vous devinez déjà d’après ce que je viens de dire : il consiste en ce qu’elles rendraient impératifs les actes qu’il ne faut attendre que de la libre impulsion de la charité chrétienne. Les auteurs de ces doctrines ont entièrement confondu la justice et la fraternité, et par cela même ils ont fait une économie politique que la raison repousse. Les meilleures choses ne supportent pas d’être confondues. C’est le moyen de les gâter toutes. Les conclusions des écrits socialistes auraient été à leur place dans la bouche d’un prédicateur dans la chaire chrétienne, sous deux conditions : 1o qu’il aurait eu garde d’invoquer, comme on le faisait, l’assistance du bras séculier ; 2o qu’en parlant des riches aux classes pauvres, il se fût inspiré de l’esprit de fraternité dont on se prétendait l’interprète. Mais du moment qu’on voulait rendre les riches justiciables, non pas de leur conscience et de Dieu, qui réside dans les cieux, mais bien de l’État agissant despotiquement ; du moment qu’on avait la bouche pleine de violence et de haine, tout ce que l’on faisait ne tendait qu’à compromettre une sainte cause et qu’à prôner un principe à jamais digne de l’admiration et du respect du genre humain.

Les notions de morale, qui se classent sous le titre de la fraternité, pour s’introduire dans la pratique habituelle des sociétés et pour y avoir leur plein effet, ont besoin de se présenter sous les auspices de la religion. Si la philosophie y suffit, c’est à l’égard d’une toute petite minorité d’élite. Les actes qui découlent de la fraternité ne peuvent être ordonnés que comme la religion ou la philosophie ordonnent, c’est-à-dire en rendant chacun responsable seulement devant Dieu et sa conscience.

De nos jours, des hommes de bien, habitués à pratiquer la charité pour leur compte, et à l’exercer avec intelligence pour le compte d’autrui, ont essayé de coordonner, sous le nom d’Économie charitable, les indications que l’expérience fournit sur les meilleurs moyens de rendre la charité profitable aux classes et aux individus qui en sont l’objet. Quelques personnes ont pensé qu’il allait naître de là une science rivale de l’économie politique, destinée même, disaient-elles, à supplanter celle-ci quelles supposaient entachée de sécheresse et d’égoïsme. Messieurs, ce n’est qu’une erreur. L’économie politique ne craint pas la concurrence de l’économie charitable, par beaucoup de raisons, dont la première est que ce n’est pas une concurrence, mais un concours.

Lorsque nous aurons à parler des œuvres et des tentatives de l’économie charitable, ce sera pour applaudir sans réserve aux sentiments qui l’animent et pour lui souhaiter les ressources les plus abondantes. L’économie politique ne s’est occupée jusqu’ici des rapports qui exis-