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ce monde fut bien autrement pénible que la transition graduelle par laquelle il avait perdu la conscience des choses extérieures. Une à une ses facultés sortaient de l’assoupissement, mais pour s’éveiller à une souffrance inouïe, indescriptible. Son hallucination chérie fuyait sous les coups incessants de son bienfaiteur. La rigidité de son sang se fondait insensiblement et la vie rentrait dans ses veines comme les gouttes glacées de l’agonie. Il se fâcha contre le nouveau venu, qui entremêlait cette ardente flagellation d’apostrophes fantastiques :

— Ah ! vous prendrez une prairie pour votre lit ! Vous vous envelopperez dans une couverture de neige pour rêver, comme un Turc, mon bon monsieur ! Tout beau ! je vous enseignerai des habitudes plus décentes, dût-il m’en coûter un temps très-précieux et le prix d’une baguette ! Que dites-vous de mon spécifique, étranger, eh ?

Kenneth recueillit assez de force pour s’élancer, mais mollement, sur le bourreau. En récompense, il reçut une nouvelle distribution de horions sur les mains, les bras et le visage.

— Que… que me voulez-vous, monsieur ? demanda-t-il, fort indigné de ce procédé qu’il trouvait parfaitement incivil.

— Vous traiter à ma façon, voilà tout, répliqua Nick avec un calme provocateur. Vous voyez qu’il y a une polissonne de petite difficulté entre nous.

Le trappeur, — son accoutrement indiquait que telle était sa profession, — poursuivit sa bizarre médicamentation jusqu’à ce qu’il eût ramené la chaleur vitale dans les artères de Kenneth, dont la colère, s’apaisant avec le retour de la raison, fit place à diverses sensations. Nick, épuisé, cessa ses cordiales fustigations, pour aider le jeune homme à se remettre sur ses pieds.

— Les tortures de la mort auraient, dit ce dernier, été moindres que les tortures de la résurrection ; mais je vous dois la vie à vous et votre chien ; croyez-moi, monsieur, je ne l’oublierai pas.

— Sans doute, étranger, sans doute ! mais ne vous occupez pas de bagatelles maintenant. Prenez mon bras et lâchez de marcher. Mon chien et moi rôdions dans le bois que voici, quand j’ai entendu l’animal qui m’appelait. Il ne me parla point comme nous le faisons vous et moi ; mais il me parla en bonne langue de chien. Nous nous connaissons, lui et moi, oui bien ! Au physique il n’est