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jeune homme. Je ne sais vraiment ce que le chien ferait sans le maître et le maître sans le chien. Mais je n’ai pas besoin de toi. Va-t’en ! va-t’en !

Calamité eût-il été sourd-né qu’il n’eût pas témoigné plus d’inattention à cet ordre.

— Veux-tu bien t’en aller ! continua Kenneth avec plus de dureté qu’il n’aurait voulu en montrer à un être qu’il considérait comme un bienfaiteur et un ami.

Le chien ne bougea pas davantage et ses yeux restèrent aussi immobiles qu’auparavant. Il semblait dire : « Mon parti est pris ; il est inutile de parler. »

Kenneth le comprit bien. « Autant vaudrait m’adresser à l’un de ces cailloux, » murmura-t-il avec dépit. Mais, un moment après, il eut un sentiment de remords en se rappelant la sagacité extraordinaire de l’animal, sa fidélité incomparable, son courage à toute épreuve, et, enfin, qu’il lui avait sauvé deux fois la vie.

— Puisque tu veux venir avec moi, dit-il d’un ton radouci, je n’ai, après tout, aucun droit de me plaindre. Allons, viens, tu partageras mes dangers.

Calamité ne le suivit pas ; mais s’élançant en avant, il ouvrit la marche, et rendit ainsi comparativement facile une excursion qui, sans lui, aurait coûté beaucoup de peine et d’efforts à Kenneth. Aidé par ce guide habile, il arriva bientôt au lieu de sa destination. La nuit était toujours aussi impénétrable. Le lac s’étendait noir et silencieux le long de la rive rocheuse à l’orifice de la caverne. Le cœur de Kenneth battit violemment en en approchant. Il se souvenait avec émotion de sa première visite à ce souterrain. C’était un terrible épisode de sa vie. S’arrêtant au pied de la falaise qui dressait sa crête sourcilleuse comme une redoutable forteresse élevée par la main de la nature, le jeune homme se rappela, une à une, ses sensations en essayant de l’escalader, et ne put s’empêcher de frémir en songeant aux dangers qu’il avait courus.

Mais chassant bien vite ces impressions intempestives, pour ne plus penser qu’à Sylveen Vander, il pénétra sous ce qu’on pouvait appeler le portique de la caverne.

Son premier acte fut de s’assurer qu’il n’y avait là ni canot, ni embarcation d’aucune sorte. Cette certitude le combla de joie, car elle prouvait, jusqu’à un certain point, que les ennemis ne devaient