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temps en place. Aussi ne resta-t-il qu’un jour ou deux au fort où Saül Vander avait été laissé pour se rétablir, et partit-il, sa carabine sur l’épaule, en battant des ailes, croassant et sifflant de la manière la plus diabolique.

Trois jours après les scènes racontées dans le dernier chapitre, on pouvait voir cet être nomade, tenant par une lanière d’écorce d’arbre, un gros et lourd cheval. Il le contemplait avec autant de surprise que de satisfaction ; car c’était une proie qui venait de lui échoir. De curieux tableaux étaient peints sur la robe de l’animal : d’un côté une assez bonne image d’un baril ; de l’autre, un Indien que l’artiste avait voulu représenter ivre ou endormi.

Après avoir examiné avec ravissement ce merveilleux phénomène, Tom Slocomb poussa un violent et discord croassement, qui fit bondir le cheval en arrière.

— Serpents à sonnettes ! tu es une beauté rare, n’est-ce pas ? Tu avais pour maître quelque fantasque personnage, n’est-ce pas ? Tu ne connais point le Corbeau de la rivière Rouge, n’est-ce pas ? Allons, viens, n’aie pas peur. Il n’y a rien ici pour t’effrayer ! Tu appartiens à un marchand de whiskey, je pense. Pas de tours ! tiens-toi tranquille. Couah ! couah !

Les échos de la voix de Slocomb n’avaient pas cessé de se faire entendre, quand on lui cria d’une grande distance :

— Hé ! hé ?

— Que voulez-vous ? Qui êtes-vous ? répliqua Tom.

Allongeant son regard, il aperçut Nick Whiffles, précédé de Calamité, le museau rasant la terre.

— Eh bien ! vous voyez qui je suis, à moins que vous n’ayez la berlue, répondit Nick. Quant à ce que je veux, je ne sais pas trop si je veux un oiseau comme vous. Qu’est-ce que vous faites ici ?

— Nick Rôdeur, je suis heureux de vous voir. Vous êtes…

— Arrêtez là, Corbeau ! Rôdeur est un nom que je n’ai jamais possédé. Les Whiffles sont une famille notée noble et notoire ; et je ne souffrirai pas qu’on me prive de l’honneur de leur appartenir.

— Montagnes Rocheuses ! quelle différence cela fait-il ? Il ne m’arrive pas une fois sur dix de me tromper sur les noms. À quoi bon s’en inquiéter, du reste ? Donnez-moi un morceau de n’importe quoi à manger, un coin de terre pour m’étendre, un bout de ciel bleu pour me couvrir, et je suis le plus fortuné mortel.