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— Je ne parlais pas pour me vanter, vous comprenez ? fit observer un peu aigrement Vander.

— Oui, je comprends cela, dit Nick ; mais quand on en vient à une question de faits, je puis tenir tête à quiconque a épaulé une carabine ou porté un havresac, je le jure, oui bien, votre serviteur !

— Je n’ai jamais été ferré sur les forfanteries, riposta sèchement Saül : mais j’ai connu des gens qui s’entendaient mieux dans cette ligne que dans toute autre branche d’affaires, vous comprenez ?

— Non, je ne comprends pas, repartit malicieusement Nick ; et vous avouerez qu’il est ennuyeux de s’entendre toujours dire : vous comprenez ceci ou cela, lorsqu’on ne comprend pas. Quant à votre insinuation que je ne suis bon qu’à me flatter, je m’en soucie comme d’un fétu, quoique, ajouta-t-il en manière de réflexion, si nous n’avions pas autre chose sur les bras, ça pourrait occasionner entre nous une diablesse de petite difficulté.

— Eh ! vous êtes braves tous deux, on le sait, intervint Kenneth, voulant éviter une chicane imminente. Pardieu, il faudrait aller loin pour trouver deux trappeurs aussi hardis et aussi rompus que vous à l’existence que nous menons. Est-ce que tout le monde ne vous rend pas justice ? Mais la nuit vient. Voyons, bourgeois, où nous posterez-vous ?

— Choisissez l’endroit qui vous plaira, je puis me fier à vous, vous comprenez ? répondit Saül.

— Oui, grommela Nick, nous comprenons certainement ça.

Kenneth avait déjà étudié le terrain et reconnu la partie qui présentait le plus de dangers probables. C’était un lieu couvert d’arbustes, entrelacés de hautes herbes et de sauge sauvage. Mais, il ne s’y rendit pas tout de suite, ayant remarqué que Le Loup épiait ses mouvements de la tente de Sylveen. Après avoir fait un long détour, et s’être assuré qu’on ne pouvait le voir, il arriva à cette place et commença sa faction.

Les nuages opaques, amoncelés à l’occident, s’étendirent bientôt sur toute la voûte céleste et interceptèrent la lueur des étoiles. Un impénétrable manteau, noir comme le jais, plana sur le camp des trappeurs. Perçant l’obscurité, les yeux de Kenneth étaient fixés sur la tente de Sylveen. Longtemps, il demeura plongé dans ses amoureuses pensées ; mais craignant qu’elles ne l’absorbassent au point de rendre sa garde inutile, il se mit à marcher en long et