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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

femmes s’affublent à l’aventure d’oripeaux dont elles ne peuvent apprécier le bizarre effet. Elles piquent force épingles en diamants et en pierreries sur des mouchoirs de coton imprimé, qu’elles roulent autour de leur tête. Rien n’est moins soigné que leurs cheveux, et les très grandes dames qui ont habité la capitale ont seules des peignes. Quant au fard multicolore dont elles font un usage immodéré, elles ne peuvent en régler la distribution qu’en s’aidant réciproquement de leurs conseils, et elles encouragent volontiers les unes chez les autres les plus grotesques enluminures. Elles se mettent du vermillon sur les lèvres, du rouge sur les joues, le nez, le front et le menton ; du blanc à l’aventure, et, comme remplissage, du bleu autour des yeux et sous le nez. Ce qui est plus étrange encore, c’est la manière dont elles se teignent les sourcils. On leur a dit sans doute que, pour être beau, le sourcil doit former un grand arc, et elles en ont conclu qu’il serait d’autant plus admirable que l’arc en serait plus grand, sans se demander si la place de cet arc n’était pas convenablement déterminée par la nature. Cela étant, elles attribuent à leurs sourcils tout l’espace existant d’une tempe à l’autre, et se peignent sur le front deux arcs immenses, qui partent de la naissance du nez, et s’en vont chacun de son côté jusqu’à la tempe. Il est de jeunes beautés qui préfèrent la ligne droite à la courbe, et se tracent une grande raie noire en travers du front ; mais ces cas sont rares.

« Ce qui est certain en même temps que déplorable, c’est l’influence de cette teinture, combinée avec la paresse et le défaut de propreté des femmes orientales. Chaque visage féminin est une œuvre d’art fort compliquée, et qu’on ne saurait recommencer tous les matins. Il n’y a pas jusqu’aux mains et aux pieds, qui, bariolés de couleur orange, ne redoutent l’action de l’eau comme nuisible à leur beauté. La multitude d’enfants et de servantes, surtout de négresses, qui peuplent les harems, et le pied d’égalité sur lequel vivent maîtresses et suivantes, sont aussi des causes aggravantes de malpropreté générale. Je ne parlerai pas des enfants ; mais représentons-nous un instant ce que deviendraient nos jolis ameublements d’Europe, si nos cuisinières, nos femmes de peine, venaient se reposer à tout moment de leurs travaux sur nos causeuses et nos fauteuils, les pieds sur nos tapis et le dos contre nos tentures. Ajoutez à ceci que les vitres sont encore en Asie à l’état de curiosité, que la plupart des fenêtres sont fermées avec du papier huilé, et que,