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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

Shakspeare, joué en anglais par un acteur nègre des Antilles, tandis que les autres personnages récitaient leurs rôles en russe. Elle trouva l’Othello très bon ; car, ajoute-t-elle, quand on revient de Chine, on n’est pas difficile.

Un autre divertissement attira son attention : « c’était un chœur de marins du Volga, assis à terre et faisant le simulacre de ramer, sous les ordres d’un chef, qui déclamait une sorte de récitatif auquel le chœur répondait par des strophes chantées en parties. Il s’agissait des exploits de Rurik et de ses pirates, envahissant la Moscovie au IXe siècle ; le chant était sauvage, mais bien rythmé et saisissant. J’aurais voulu pouvoir le noter, mais j’en ai été empêchée par le bruit assourdissant qui se faisait dans toutes les langues et dans tous les cris du monde. »

Ici s’arrêtent les notes de Mme de Bourboulon ; de Nijni-Novgorod, elle et son mari se rendirent par le chemin de fer à Moscou, puis à Saint-Pétersbourg, et revinrent enfin à Paris à travers la Prusse et la Belgique. Ils avaient accompli en quatre mois, sans accident, un voyage d’au moins dix mille kilomètres, un des plus longs qu’on puisse faire par terre.

D’après un récit de voyage on peut se faire une idée assez exacte du caractère et de l’intelligence du voyageur. À chaque page de ces notes, écrites au jour le jour, Mme de Bourboulon se révèle comme une femme d’esprit cultivé, gaie, spirituelle, pleine d’énergie. Mais ses forces physiques n’égalaient pas celles de son âme, et, peu d’années après son retour, elle mourut au château de Claireau, dans le Loiret, le 11 novembre 1865, à l’âge de trente-huit ans.