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MADEMOISELLE ALEXINA TINNÉ

parfois à leur cargaison de dents d’éléphants les malheureux nègres qui leur avaient servi de guides et de chasseurs. Avec le temps ils étendirent leurs opérations, armèrent les tribus les unes contre les autres, les encouragèrent dans leurs animosités meurtrières, et consolidèrent ainsi leur funeste tyrannie.

Nos voyageurs furent honteusement pillés par un de ces trafiquants de chair et de sang. C’était sur ses demandes pressantes que Mlle Tinné et ses compagnons s’étaient avancés jusqu’à Bongo, où il exerçait une despotique autorité. L’accueil qu’il leur fit fut princier. Leur arrivée fut saluée par des décharges de mousqueterie, et Biselli (c’était le nom du vakeel) les reçut à l’entrée du village et les conduisit dans une habitation vraiment spacieuse et commode, où on leur servit des sorbets, du café et toutes sortes de rafraîchissements. Son hospitalité prodigue s’étendit jusqu’au dernier serviteur ; l’abrek, la boisson du pays, coula à flots pour tous, même pour les nègres porteurs de bagages.

Biselli, comme ses hôtes ne tardèrent pas à s’en apercevoir, possédait presque tout le village et étendait sa domination aux alentours. Alexina le pria de lui vendre des bœufs et une provision de grains ; il répliqua avec une courtoisie apparente que pour vingt-quatre heures il avait le bonheur de lui donner l’hospitalité, qu’il ne pouvait abdiquer ce privilège pour agir en commerçant, et n’avait d’autre pensée que de lui rendre les honneurs qui lui étaient dus. Loin de diminuer, sa prodigalité augmenta, et les Européens se sentirent presque humiliés de profiter d’une aussi large hospitalité.

Le jour suivant, il jeta le masque. Mlle Tinné voulait louer, pour loger ses gens, un petit zéribah ou camp, composé de deux tentes ; Biselli demanda trente dollars pour le loyer ; mais lorsque les domestiques eurent commencé à décharger les bagages, il éleva soudain ses prétentions à deux cents dollars. Cette tentative d’extorsion se heurta à un refus net et ferme ; il descendit alors à quarante dollars, qui lui furent payés. Mais bientôt la caravane eut besoin de fourrage, et il fallut avoir recours à Biselli. Le coquin, abusant de la situation, fit payer ce fourrage quarante fois plus cher qu’à Khartoum, et sur chaque article il préleva de même une taxe de quarante à cinquante pour cent. Il ne jouait plus l’hôte généreux ; il était rentré dans son rôle naturel de traitant avide et sans scrupules.

La fièvre continua ses ravages après l’arrivée à Bongo ; à la grande douleur d’Alexina, la fatale maladie lui enleva sa mère. Le docteur