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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

chissons l’Oural sur une glace solide, et Orsk apparaît à nos yeux. Un poteau blanc marque la fin de l’Europe et le commencement de l’Asie administrative. »

Un peu plus loin, la neige ayant disparu, les voyageurs continuèrent leur voyage en tarantass. Dans les steppes qu’ils traversaient, ils eurent l’occasion de rencontrer quelques-unes des tribus nomades des Kirghises, qui les habitent. « Chez les Kirghises, dit plaisamment Mme d’Ufjalvy, les femmes font tout, soignent même les chevaux ; les hommes restent absolument oisifs. Véritable politique d’équilibre ; de cette manière le ménage va toujours bien ; une dispute est-elle possible quand l’un a tous les droits, l’autre tous les devoirs ? Chez les Sartes (habitants des villes de l’Asie centrale), c’est tout le contraire : les femmes ne s’occupent que de leur toilette et ne s’abaissent pas aux soins du ménage, qu’elles abandonnent à leurs serviteurs ; le mari n’est que le serviteur en chef : il tient le balai, brode et coud. »

À Turkestan, Mme d’Ufjalvy visita la colossale mosquée élevée jadis par Tamerlan. Enfin, le 14 mars, nos voyageurs arrivèrent à Tachkend, séjour du gouverneur général russe du Turkestan, et ils eurent le plaisir d’y trouver un hôtel français. Un mois plus tard ils en repartaient, cette fois par un soleil brûlant, pour se diriger vers Samarkand. Le désert qu’ils avaient à traverser porte le nom lugubre de steppe de la Faim, que rien n’explique d’ailleurs. L’aspect en est souriant ; c’est un immense parterre dont la teinte est rouge, mauve ou jaune d’or, selon la fleur qui domine. Une seule chose manque à cet horizon si vaste : les arbres, absolument inconnus et remplacés peu avantageusement par des poteaux de bois aux couleurs russes qui marquent chaque verste franchie. « Tout à coup le spectacle s’anime, le steppe paraît se mouvoir comme la mer, les herbes ondoient, et cependant nous ne pouvons constater le plus léger zéphyr. Je donne à deviner en cent, en mille, la cause de ce mouvement. Ce sont des myriades de tortues qui se promènent dans tous les sens, enchantées de pouvoir chauffer leur carapace au soleil. Dans l’air volent un grand nombre d’aigles, planant parfois si près de nous, que nous entendons les battements de leurs ailes ; ces grands corsaires, d’une couleur grise brune fauve, quelquefois blanchâtre, s’en viennent tout exprès des monts Célestes pour déjeuner d’une tortue. »

Un peu plus loin, en entrant dans la montagne, Mme d’Ufjalvy