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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

mort ; autour du cercueil sont groupées des pleureuses, comme dans les funérailles antiques.

Les mariages sont le plus souvent des alliances conclues entre deux familles sans que les intéressés y comptent pour rien ; la jeune fille n’a parfois que dix ans. L’affaire est vite conclue ; et, la bénédiction nuptiale donnée par le prêtre, on reconduit l’épousée dans sa famille. Jadis, pour cette bénédiction, la mariée avait la tête complètement enveloppée d’un capuchon qui cachait ses traits, et que son mari n’avait droit d’enlever qu’après la cérémonie ; cet usage favorisait la supercherie et permettait de substituer une jeune fille à une autre ; comme les mariages étaient néanmoins très difficiles à faire casser, on a abandonné cette coutume. Lorsque le jour est venu de mener la jeune femme chez son mari, les amis viennent la chercher en joyeux cortège ; tout le monde chante, fait des tours d’adresse et même danse en selle ; on emmène aussi en triomphe les objets qui composent la dot et le trousseau, principalement de grands coffres de bois peint et doré, qui sont parfois à peu près vides. Pendant les repas de noce, qui durent plusieurs jours et sont servis en plein air, sous des tentes élégantes, la mariée, parée par ses amies de ses plus beaux atours, doit rester assise à côté de son mari, présidant la table, sans parler ni manger, et absolument immobile.

Les fêtes pascales sont aussi très curieuses. Mme Carla Serena les passa à Zougdid, ancienne capitale de la province, où elle reçut l’hospitalité chez la princesse Catherine Dadion. Cette femme héroïque, veuve du dernier prince régnant, et régente pendant la minorité de son fils, résista vaillamment à l’invasion russe. Elle commandait elle-même ses troupes, et, pour les entraîner, il lui arriva de franchir la première le fleuve Inghour débordé, qui arrêtait ses soldats. La lutte fut acharnée, le château des princes Dadion pris d’assaut et saccagé ; enfin, après une guerre de trois ans, la princesse dut conclure la paix, et, en 1867, le dernier héritier des princes de Mingrélie a cédé à la Russie tous ses droits de souveraineté.

Voici la pittoresque description que fait Mme Carla Serena des cérémonies de Pâques.

« Le vendredi saint, Zougdid s’anime ; les paysans des villages voisins apportent sur la place du Bazar le produit de leur industrie… Ici c’est un berger, venu avec son troupeau d’agneaux ; là c’est une laie et ses petits qui disputent la préséance à des poules et à des dindons, destinés, eux aussi, à orner les tables pascales. Ailleurs s’em-