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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

quoi se fâcher. Il se mit en colère, gronda, tempêta, m’enleva de cheval ; car mes mains et mes pieds étaient engourdis par le froid, prit le poney par la bride et partit à grandes enjambées ; de sorte que je fus obligée de courir pour ne pas les perdre de vue dans le brouillard. Nous avions quitté la route pour nous engager dans je ne sais quels buissons qui ressemblaient tout à fait à des arbres de corail blanc. Nous arrivâmes enfin à sa hutte…, et le « brigand » insista pour m’y faire entrer ; il alluma un bon feu, me fit du café, toujours en rageant… Alors il me remit dans mon chemin, et l’entrevue commencée par un coup de pistolet finit très agréablement. C’était une chevauchée vraiment fantastique, de celles qu’on ne peut oublier, quoiqu’il n’y eût pas le moindre danger. »

Il serait difficile de contester à miss Bird une seule des qualités des grands voyageurs. Sous le rapport de l’énergie morale et physique, elle s’est montrée l’égale d’un homme. Le courage, la fermeté, la décision, la patience pour tout supporter, le talent de s’accommoder aux circonstances, rien ne lui manque. Sa promenade à travers les montagnes Rocheuses prouve ce que peut accomplir une femme entreprenante et brave, même dans les conditions les plus défavorables et en face des obstacles en apparence les plus grands. Son sexe lui valut peut-être un seul avantage, celui de lui assurer un accueil cordial et une invariable politesse de la part d’hommes farouches et grossiers, et dans des endroits absolument perdus ; mais évidemment les inconvénients et les dangers se trouvaient doublés pour une femme, et elle n’en aurait pas triomphé sans sa persévérance, sa constante bonne humeur et son infatigable force de résistance.

Miss Bird est l’auteur de plusieurs autres ouvrages : la Chersonèse d’or et le chemin pour s’y rendre, les Sentiers inconnus du Japon, un livre sur Hawaï, etc. etc…, tous également intéressants, mais à plusieurs desquels on doit reprocher de fâcheuses tendances au point de vue religieux.

Il fut un temps, et ce temps n’est pas bien éloigné, où une visite aux déserts de la Patagonie eût été regardée comme un véritable haut fait de la part d’une Anglaise. De nos jours cela parait tout simple. L’intérêt excité par le livre de lady Florence Dixie : À travers la Patagonie, tient à l’attrait naturel qu’offraient ses vives et piquantes descriptions d’un pays inexploré, et non à la vaine curiosité qu’inspire parfois une tentative aventureuse. Si une femme peut faire un voyage