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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

« … Je crains qu’aucune description ne puisse vous donner l’idée des forêts délicieuses où nous errons au gré de notre fantaisie, sachant qu’aucun être malfaisant ne se cache sous les rocs moussus ou dans la riche épaisseur des fougères. Çà et là nous trouvons des pelouses de moelleux gazons qui nous inspirent l’envie de nous reposer à l’ombre immense d’un arbre dont les énormes racines sortent de terre ; mais le plus souvent les rayons du soleil se brisent autour de nous en dix mille étincelles, dansant au milieu de feuilles de toutes formes et de toutes teintes, depuis les énormes feuilles satinées du plantain sauvage ou des arums géants jusqu’aux frondes légères des palmiers, si rarement en repos, mais lançant un éclair pareil à celui d’une épée d’acier chaque fois qu’un souffle vient les agiter. Un peu au-dessous de ces reines des îles de corail montent du sol des groupes de gracieuses fougères arborescentes, souvent festonnées de lianes légères, et il y a des endroits où non seulement ces fougères, mais les grands arbres sont littéralement enserrés dans un tissu de beaux convolvulus blancs à larges feuilles, ou encore du petit ipomea à fleurs lilas, qui s’enroule autour des hautes tiges des palmiers et retombe sur leurs frondes en cascades vertes. La plupart des arbres sont revêtus de fougères parasites, qui, avec une variété infinie d’orchidées, poussent à la jonction des branches, de sorte que ces troncs et ces branches paraissent aussi verts que tout le reste dans cette forêt magique. Mais la vie n’anime pas ce paradis ; j’y ai vu rarement un oiseau ou un papillon, tout au plus quelques lézards ou une libellule. La voix des oiseaux, qui nous réjouit le cœur dans nos modestes bois d’Angleterre, est inconnue ici ; c’est du moins un avantage qui peut compenser pour nous l’absence de cette luxuriante végétation, d’un charme si puissant. »

Il faut nous contenter d’une dernière citation : un marché tahitien à Papeete.

« Après avoir suivi des chemins traités de rues, mais qui sont, à proprement parler, des allées ombreuses d’hibiscus jaunes et d’arbres à pain, j’arrivai sur la place du marché couvert, où était rassemblée une foule de l’aspect le plus gai qu’on pût désirer ; la plupart de ceux qui la composaient portaient des robes de couleurs éclatantes, car il s’agissait de gens du peuple dont le deuil officiel pour la bonne vieille reine touchait à sa fin. Les longues tresses de cheveux noirs, jusque-là si soigneusement cachées sous les coquets chapeaux marins, se déroulaient à présent dans toute leur longueur,