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MADAME HOMMAIRE DE HELL

Après quelques jours de repos à Vladimirofka, telle propriété où un gentilhomme russe d’une rare intelligence avait fondé une colonie agricole, ils reprirent leur voyage, s’avançant rapidement vers le Caucase, dont le sommet le plus élevé, le mont Elbrouz, leur montrait de temps à autre sa tête majestueuse, le plus souvent encapuchonnée de nuages, comme pour se voiler aux regards profanes. La tradition veut que sur son sommet se soit posée la colombe de Noé, pour y cueillir le mystique rameau d’olivier qui est devenu depuis le symbole de la paix et de l’espérance.

« Quoiqu’à peine hors des steppes, nous voyagions alors dans un pays enchanté ; des lignes indécises qui se dessinaient et se coloraient dans l’horizon, selon l’état du ciel, nous annonçaient de plus en plus distinctement les Alpes caucasiennes. Elles nous apparurent d’abord en légères fantaisies de brouillards, en vapeurs transparentes qui semblaient nager dans l’air, selon le vent et les caprices de la lumière ; mais peu à peu cette fantasmagorie aérienne se changea en montagnes couvertes de forêts, en gorges profondes, en dômes couronnés de vapeurs. Nous rencontrâmes plusieurs cavaliers en costume circassien, qui, par leur beauté mâle et fière, nous donnèrent un échantillon de cette race caucasique, la plus belle de l’Europe. Leur physionomie et leur équipement militaire annonçaient un peuple montagnard et guerrier, aussi habile à garder les troupeaux qu’à se servir de la carabine à l’occasion. Nos facultés avaient peine à suffire aux émotions multiples qu’éveillait en nous une nature riche et vigoureuse, étalant, malgré la saison avancée, une magnifique végétation et les teintes variées de ses forêts et de ses montagnes. Les perspectives déroulaient de plus en plus à nos yeux leur océan de pics, d’escarpements, de ravins, de sommets neigeux, dont nous pouvions saisir presque tous les détails. C’était beau, c’était magnifiquement beau, et surtout cela s’appelait le Caucase ! Le Caucase, nom qui évoque dans l’esprit tant de grandes pensées, tant de souvenirs historiques, auquel se rattachent les traditions les plus reculées, les croyances les plus fabuleuses ; le Caucase, d’où les historiens font descendre, dans les premiers âges du monde, les familles primitives, souches de tant de grandes nations ! »

À Georgief, ils étaient sur le seuil du Caucase, et la nature la plus pittoresque allait les dédommager des monotones aspects de la mer Caspienne. Mais la route avait ses dangers ; on avait déjà parlé aux voyageurs des brigands circassiens qui l’infestaient. Pour achever de