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MADAME HOMMAIRE DE HELL

tant tous les signes d’un ancien bouleversement, tandis qu’à gauche de belles montagnes boisées montent d’étage en étage jusqu’à l’imposante chaîne du Kasbeck. Plus loin, la route quitte la vallée, devenue très étroite, et serpente sur une longue corniche, côtoyant le cours du torrent jusqu’à l’endroit où il s’enfonce dans la montagne. Là le sol boueux dont les chevaux avaient beaucoup de peine à se tirer, le ciel gris, l’atmosphère humide qui les avaient accompagnés jusque-là, furent soudain remplacés par un air sec, du froid, de la poussière et du soleil. Ce contraste brusque est particulier à ces régions élevées. Mme de Hell fut vivement frappée du caractère sauvage et pittoresque de cette partie du Caucase. « On ne voit de tous côtés qu’un océan de pics, de cônes, de mamelons, de pyramides, dont les proportions gigantesques et le sublime désordre impressionnent vivement l’imagination. Les Alpes caucasiennes, avec leurs grandes cimes, leurs neiges étincelantes et leurs abîmes, se déroulent majestueusement sous les regards, et semblent se confondre avec les nuages… On rencontre de distance en distance des huttes coniques en terre, d’une vingtaine de mètres de haut, servant de lieu d’observation à des sentinelles qui de là surveillent nuit et jour les alentours ; leur silhouette, profilée sur le fond nébuleux du ciel, produit un singulier effet au milieu de la solitude qui les environne. » La vue de ces Cosaques, l’arme au bras, arpentant l’étroite terrasse au sommet de chaque éminence, était comme un gage de sécurité.

On se trouvait au milieu d’octobre, mais la végétation avait encore toute sa fraîcheur. Les pentes escarpées étaient couvertes d’un riche gazon, qui offrait une abondante pâture à des troupeaux de chèvres assez nombreux, dont les bergers, revêtus de peaux de mouton et portant, au lieu de la houlette traditionnelle, un long fusil en bandoulière, sans oublier deux ou trois cartouchières à leur ceinture, faisaient un piquant contraste avec le caractère semi-pastoral du paysage. Des aigles gigantesques, troublés dans leurs aires, volaient de rochers en rochers, monarques de ces montagnes. C’était bien ce qu’avaient rêvé nos voyageurs quand leur imagination évoquait le Caucase.

Mme de Hell a fait une description intéressante des habitants de ces régions avant qu’ils eussent été tout à fait subjugués par le despotisme russe.

Élevés dans des habitudes guerrières, ils marchaient toujours bien armés, portant une carabine, un sabre, un long poignard et un pistolet passés dans leur ceinture. Leur costume se composait d’un