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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

vestibule, de ces salons déserts éclairés par le soleil couchant, voir glisser l’ombre de la belle Polonaise et entendre sa voix dans le murmure des fontaines. »

Pour visiter toutes les constructions comprises dans l’enceinte du palais, il faut traverser une succession indéfinie de jardins et de cours intérieures. Celle qui entoure le harem porte le nom gracieux de Petite-Vallée-des-Roses. C’est un parterre de rosiers où jaillissent une foule de sources, et au milieu de ces fleurs s’élève le gracieux édifice arabe. Aucun bruit du dehors ne peut arriver jusque-là ; on n’y entend que la chanson de l’eau et les gazouillements des rossignols. Une tour fort élevée, avec une terrasse garnie de grillages qui peuvent s’élever ou s’abaisser à volonté, domine la cour principale, et servait aux femmes pour assister, sans être aperçues, aux jeux guerriers qui s’y célébraient. De cette terrasse on a une vue à vol d’oiseau sur toute la vallée ; les mille voix de la ville, resserrées dans un horizon étroit, y arrivaient distinctement, surtout à cette heure du soir où l’appel à la prière, qui descend du haut des minarets, se mêle aux bêlements des troupeaux lassés et aux cris des bergers revenant du pâturage.

Dans le cimetière on voit les tombeaux de tous les khans qui ont régné sur la Tauride pendant la domination tartare. Comme tous les cimetières d’Orient, celui-ci voile sous les fleurs l’idée sombre de la mort. Le Tartare qui le gardait apporta à Mme de Hell un bouquet cueilli sur la tombe d’une Géorgienne, épouse chérie du dernier de ces princes. Ce palais, jadis dans un abandon et un délabrement affreux, fut restauré par les soins de l’empereur Alexandre Ier, qui avait été frappé de sa beauté mélancolique.

Avant de quitter la Crimée, Mme de Hell fit une visite à Karolez, village tartare perdu dans la montagne où résidait, dans un site merveilleux, la princesse Adil-Bey. Elle craignait de ne pas être admise dans ce palais, où beaucoup de dames russes n’avaient pu pénétrer.

« La maison des étrangers avait été préparée avec l’ostentation naturelle aux Orientaux. Nous passâmes, en traversant le vestibule, au milieu d’une double haie de serviteurs, dont l’un des plus âgés nous introduisit dans un salon disposé à la turque. Le fils de la princesse, charmant enfant de douze ans, parlant fort bien le russe, vint se mettre à notre disposition, et voulut se charger lui-même de veiller à ce que rien ne nous manquât. Je lui remis ma lettre d’introduction pour sa mère, et peu de temps après il vint m’annoncer, à